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. | Suite à un échange avec Jean-Yves Brouard, scénariste ayant connu personnelement Daniel Chauvin, j'ai le plaisir de vous présenter ici une biographie très humaine de cet auteur : "Décédé le 1er août 1995 à 56 ans - il allait marier sa fille unique - Daniel Chauvin est l'un des rares élèves de Joseph Gillain, avec sans doute Herbert, à n'avoir pas réellement percé dans la bande dessinée, à être resté dans l'ombre de son maître. Toute sa vie d'auteur ne fut qu'un combat épuisant contre des moulins à vent, des éditeurs indécis, de capricieux responsables de la presse BD. Ses quelques œuvres finalement publiées ne le furent qu'à la suite d'accouchements longs et difficiles. Son sourire de façade devant tant d'adversités et de frustrations (« Bah... tu sais, c'est comme ça, on n'y peut rien... ») cachait mal sa profonde amertume. Celle-ci s'est longtemps traduite par des problèmes stomacaux, transformés en ce cancer qui l'a si rapidement emporté. Daniel - qui rejoint là-haut Jijé, décédé quinze ans auparavant du même mal - n'aura même pas eu la joie de tenir entre les mains son album sur « La Bataille de France » (éd. Lefrancq), sorti fin 1995 mais victime là aussi de reports (sans compter divers aléas avec un précédent éditeur...). Né le 25 mai 1939, gentil et discret, Daniel Chauvin s'est intéressé toute sa vie à l'aviation. Jeune, il pratiqua un peu l'aviation de tourisme et le vol à voile et, dans le milieu des années 60, dessinait des avions pour son plaisir. Début 1967, avec son carton sous le bras, il rendit visite à Jijé en compagnie d'un copain, Francis Jouet, lui aussi dessinateur amateur d'aviation. Jijé venait de reprendre la série Tanguy et Laverdure à la suite d'Albert Uderzo et allait attaquer l'épisode « Les Anges noirs » ; séduit par le travail de ses deux jeunes visiteurs, il les prit comme assistants, d'autant que dessiner des avions ne l'emballait pas beaucoup... Le premier avion exécuté par Daniel, dans cet album où il en dessina finalement assez peu, est le Boeing 707 en vol, planche 6. Peu intéressé, Francis Jouet abandonna très vite la partie, après avoir dessiné quelques Mirage et F104 au fil des planches suivantes. Dans une bonne moitié de la vingtaine d'autres aventures de Tanguy dessinées par Jijé, Daniel fut donc l'assistant attitré du successeur d'Uderzo - et, heureusement, à l'occasion, son conseiller aéronautique... - réalisant les aéronefs et traçant les lettrages (grâce aux conseils du maître, Daniel était devenu rapidement un excellent lettreur). Salarié de Jijé pendant deux ans, curieusement il lui fallut acheter de sa poche les albums sur lesquels il ne touchera aucun droit d'auteur malgré sa collaboration... Quand je lui fis remarquer qu'il aurait pu demander au moins un petit subside à Jijé, Daniel, sincère et respectueux admirateur de son maître (qui était réellement la générosité faite homme), me répondit avec fermeté : « Ah non ! je n'aurais jamais demandé ça à Joseph ! Jamais ! ». Devenu très bon encreur, adepte des à-plat noirs et des ombres « à la Jijé », Daniel parvint à placer quelques histoires entièrement dessinées par lui (avec des retouches dues au maître...) : des « Oncle Paul » dans Spirou, un récit authentique dans un Super Pocket Pilote, des récits courts ici et là (Tintin,...) sous la signature de Dan. Parfois, il en réalisa le scénario. Car l'écriture le démangeait. Il termina aussi en catastrophe l'épisode « Le pilote au masque de cuir » de la série Buck Danny ; Victor Hubinon étant tombé malade, Jijé, sollicité pour remplacer ce dernier au pied levé, mais trop occupé, avait logiquement refilé le bébé à son assistant. A la fin des années 70, je rencontrai Daniel (en partie grâce à Jijé d'ailleurs...). En tant que pilote dans un aéro-club, je lui ai proposé une petite promenade aérienne. C'est sans doute l'unique fois où il a pu, « pour de vrai », reprendre un peu les commandes, que je lui passai bien volontiers en cours de navigation. Et ce n'est qu'à moitié un hasard si, quelques années plus tard, le petit appareil choisi pour ce vol s'est retrouvé « héros » d'une courte histoire que nous avons réalisée pour feu Tintin-Reporter (« Panique au Bourget », n° du 9 juin 1989). Nous avions également produit une longue aventure aéronautique pour Spirou - jamais publiée malgré l'accord de principe de la rédaction...
Entre-temps, Daniel réussit à sortir quelques albums : Bob Browning (éd. M. Deligne, 1984), « L'énigme W » (1986), « Chassé-Croisé » (1987) - ceux-ci chez Fleurus sur scénario d'Albéric de Palmaert. « L'énigme W » fut, à sa grande surprise, un vrai succès (l'unique de sa carrière) : la Marine nationale, sponsor de cet album didactique, avait mis les bouchées doubles pour sa promotion, avec entre autres une séance de dédicaces sur un porte-avions français et un déplacement à bord d'un hélicoptère de l'Aéronautique navale, en compagnie d'un amiral et d'un autre officier empressé pour qui, en plein vol, Daniel dut dédicacer un exemplaire... Daniel assista également Marcel Uderzo (le frère de l'autre...) pour un album, qu'il aurait dû réaliser seul, racontant la guerre des Malouines (« Missiles et sous-marins », éd. Larousse, 1985). Au sujet de matériel guerrier, Daniel avait une passion inattendue : celle des armes. Il faisait partie de la Fédération française de tir, et au mur de son petit atelier figuraient quelques authentiques revolvers et fusils qui pouvaient impressionner le visiteur... Parfois d'ailleurs, ses propres BD étaient émaillées de précisions historico-techniques - un peu encombrantes... - sur les armes utilisées par ses personnages. Par ailleurs, longtemps Daniel dessina chaque mois, pour Télé-7 Jeux, la planche-énigme de l'enquête du commissaire Tanquerel (quoiqu'ignoré, c'est peut-être son principal personnage, étant donné le nombre de planches produites...). Entre autres travaux ponctuels (une histoire pour Spirou sur scénario de Stephen Desberg, par exemple), il réalisa de courts récits, en une planche ou deux, pour plusieurs numéros de BSV (Bulletin de sécurité des vols, une publication fort sérieuse, interne à l'Armée de l'air française, traitant des incidents et accidents survenus à nos avions militaires. L'adaptation en BD de certains événements réels était plus « parlante » qu'un long discours ; d'autres illustrateurs, souvent amateurs, réalisèrent, avant et après Daniel, de telles BD plus ou moins classées « secret-défense »). Parallèlement, durant de longues années et jusqu'à sa mort, il effectua un travail anonyme et peu gratifiant : le remontage de BD célèbres pour leur publication en livres de poche, chez J'ai lu-BD ; ainsi, la dernière fois que je l'ai rencontré chez lui, deux mois avant sa disparition, il travaillait sur des dessins de Wolinski. D'autre part, Daniel entama des essais pour la reprise de Buck Danny après la mort de Victor Hubinon en 1978 (voir un extrait dans Hop ! n° 44), mais ses dessins n'ont pas convenu à Jean-Michel Charlier. Mais Daniel n'avait pas été sollicité pour la reprise de Tanguy, ce qui paraît au moins illogique. L'explication vient peut-être de ce qu'il a souvent eu des difficultés, sans doute par précipitation, pour bien représenter le corps humain dans les dessins réalistes ; il ne voulait pas l'admettre et éludait le problème en citant un commentaire de Jijé, qui lui dit un jour : « La façon dont tu dessines une casquette posée sur le crâne d'un personnage serait mauvaise sous le crayon d'un autre. Mais fait par toi, je ne sais pas pourquoi, ça passe ! » Au début des années 80, Daniel avait aussi réussi à publier dans un supplément de Tintin et un autre de Spirou - encore une fois dans des conditions peu satisfaisantes - deux pastiches d'aviation : Johnny Bizzard et Jerry Doblebang. C'est dans cette seconde BD surtout qu'on remarque le don de Daniel pour les scenarii délirants, fourmillants de gags extraordinaires et loufoques, un peu à la façon de Tex Avery. Le style de Daniel, c'est aussi une sorte d'extrapolation de certaines scènes d'action époustouflantes du « Gant à trois doigts » de Maurice Tillieux, album et auteur qu'il citait volontiers en référence. Apparemment étrange, ce mélange Avery/Tillieux, sous forme de BD à gags, c'est à mon sens LE style naturel où Daniel aurait voulu avoir carte blanche et grâce auquel il aurait à coups sûrs « éclaté ». Il est dommage qu'aucun éditeur ne lui ait donné sa chance dans ce domaine. Il avait largement assez de souffle et d'imagination pour réussir dans ce créneau, à l'égal des plus grands auteurs de BD comiques."
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