Dossier BD : Interviews d'auteurs en collaboration avec "Le Graphivore"
Jigounov - Mythic

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Au cours des 9 albums, vous avez fait explorer diverses pistes à vos lecteurs. Quelles sont celles que vous envisagez d’aborder maintenant ? Est-ce que l’islamisme serait une possibilité ?

Mythic : Nous essayons toujours que l’histoire soit intemporelle car rien ne bouge plus que l’actualité. Il ne faut pas oublier que j’ai de l’avance par rapport au dessin et que je ne peux me permettre d’être dépassé par l’actualité. En l’occurrence, les 2 Alpha suivants sont déjà écrits et je m’attelle à la création du 12ème tome.

Un problème lié à l’actualité s’est déjà posé. Nous avons manqué faire un album nommé « Les tours de l’angoisse » qui aurait été un attentat manqué contre le WTC. J’ai commencé la rédaction début septembre 2001 et le 11 les tours explosaient. Si l’album avait été en réalisation nous ne l’aurions pas jeté mais il serait apparu étrange que, six mois après le drame, un album relate un attentat manqué sur ces lieux.

C’est pour cette raison que nous essayons de nous cantonner à des manipulations politiques. Cela ne nous empêche pas cependant d’aller chercher dans les racines de l’histoire. Le seul changement récent de la série par rapport à ça, c’est que les histoires sont avec plus d’action et sont moins liées à la CIA dont la réalité quotidienne est plus du travail administratif, voir de la préparation commerciale, qu’autre chose.

La série Alpha est une série manifestement très bien documentée. Comment vous y prenez-vous ? Est-ce un travail commun du scénariste et du dessinateur ou est-ce une tâche dévolue au seul scénariste ?

Mythic : Il s’agit d’un travail en deux parties.

La partie du scénariste consiste à « chercher ». Mon esprit fait une synthèse de tout ce que j’entends et lorsque deux faits se télescopent, il peut en ressortir une idée. Je regarde 10 à 12 journaux télévisés par jour, lis les journaux et écoute les informations à la radio ce qui fait que je suis au fait de ce qui se passe … si vous ajoutez à cela les extrapolations il y a matière à créer un scénario. Lorsque ce dernier est créé, je le donne à Youri qui lui se charge de rassembler toute la documentation graphique.

Comme par exemple les scènes de l’album 8 qui amènent les protagonistes de Bruxelles à Nivelles en passant par le ring à côté du lion de Waterloo…

Jigounov : Cette case de l’autoroute ne fut d’ailleurs pas évidente à réaliser car il n’y a qu’un seul endroit sur le ring où il y avait moyen de montrer le lion et la route.

Mythic : Cette vignette a d’ailleurs une histoire sous-jacente. L’un de mes amis qui désire faire un ouvrage sur l’imagerie de Waterloo dans la bande-dessinée déplorait le fait qu’il ne pouvait reprendre aucun de mes albums … il a donc eu son lion de Waterloo !

Jigounov : Et moi j’ai eu mes bouteilles de vins gratuites au restaurant (rires).


Les 5 premiers tomes avaient trait de près ou de loin à la Russie ou à ce qu’on qualifie généralement d’ancien bloc de l’Est alors que les suivants avaient plus pour sujet ce qu’on pourrait qualifier de « complot des hautes sphères ». Est-ce un choix délibéré et si oui pourquoi ce choix ?

Mythic : Je pense que le fait que Youri soit russe et moscovite a influencé Pascal Renard (NDLR : l’ancien scénariste de la série décédé en 1996) à créer cette histoire. Youri avait en effet sur place la documentation nécessaire pour traiter cette histoire non comme un occidental, mais comme un régional de l’état ….

Jigounov : Je pense au contraire que ce n’était pas sa vision des choses. Il était assez têtu dans ses idées et nous avons eu des discussions car il avait tendance à considérer comme vrai ce qu’il avait vu à la télévision ou lu quelque part alors que je lui opposais la réalité que je connaissais bien car, à cette époque, je vivais la moitié du temps à Bruxelles et l’autre à Moscou.

La première histoire avait lieu en partie en Russie pour des raisons de facilité. Ça ne dérangeait absolument pas Pascal Renard de faire une histoire qui se déroulait à moitié dans ce pays, et pour moi, surtout pour lancer la série, c’était vraiment plus facile pour rassembler la documentation.

A propos de Pascal Renard, est-ce qu’il y a des aspects de la personnalité d’Alpha qu’il a mis en place qui vous dérangent pour la suite ?

Mythic : Dans les 2 premiers albums il n’y avait pas grand-chose. Il y avait surtout un scénario mais il n’y avait pas de grands traits de personnalité d’Alpha. C’est un héros qui n’était pas construit comme un antihéros, il était plutôt chevalier blanc point à la ligne…

Jigounov : A part sa faiblesse pour les femmes mariées…

Mythic : Nul n’est parfait (rires). Il n’y a rien dans le scénario que j’aie dû gommer car je n’aimais pas tel ou tel aspect. J’ai repris la série en bloc.

Jigounov : Tu n’as cependant pas réutilisé certains aspects créés par Pascal Renard, comme le fait qu’il dispose d’une mémoire phénoménale. Mais tu oublies aussi parfois de réutiliser tes propres histoires comme le fait que, pour marquer l’ironie, Alpha appelle de temps en temps sa collaboratrice « China » (à prononcer à l’anglo-saxone) plutôt que « Sheena ».

Mythic : Nous avons eu une discussion à propos de la série où il m’a dit très clairement qu’il n’avait pas envie de se cantonner dans les pays de l’Est.

Jigounov : Sans être aussi catégorique, il ne fallait simplement pas laisser la série coincée dans ces pays qui restent pour un public occidental un peu comme la planète Mars. Or, le public a besoin de repères pour s’identifier.

Mythic : On m’a d’ailleurs fait remarquer que l’album « La liste » est un album de transition car il marque le passage des pays de l’Est vers les USA. C’est vrai mais ça a été fait de manière totalement inconsciente.

La série s’est vue divisée en cycles de tailles différentes. A quoi est dû ce choix hétéroclite ?

Mythic : L’histoire d’Alpha scénarisée par Pascal Renard devait se décliner originellement en plus de titres que les 3 qui sont parus mais la volonté éditoriale était de terminer au plus vite le premier cycle. A posteriori on peut imaginer que traîner l’histoire en 5 ou 7 albums aurait vu un vieillissement de l’information.

Le choix a été ensuite de faire un album, puis ensuite volontairement des cycles de deux albums, et les deux prochains seront en un tome.

Quelle bonne nouvelle ! Vous n’imaginez pas la frustration des lecteurs de devoir attendre un an pour avoir la suite de leur histoire !

Mythic : J’imagine très bien, d’ailleurs pour l’éviter, lorsque j’achète un Largo Winch (NDLR série parue chez Dupuis et réalisée par Francq et Van Hamme), je le range dans ma bibliothèque et ne le ressors qu’à la sortie du suivant. Je râle tellement de ne pas avoir la fin que je préfère attendre que le deuxième tome soit là.

Le prochain album d’Alpha sort en février et est un tome document qui retrace la vie de la famille d’Alpha de la fin du XIXème siècle à nos jours. Cet album, intitulé « Mensonges » est un album où nous nous sommes amusés à donner des réponses aux tonnes de questions que nous avons reçues pendant les séances de dédicace. Il sera bourré de détails rigoureusement exacts et précis. Suivra ensuite l’album, « Piranha » qui est un album d’Alpha plus traditionnel, avec plus d’action.

Est-ce pour cet album « Mensonges » que vous avez placé, au bout de 8 Tomes, qu’il s’appelle Dwight Tyler ?

Jigounov : Là n'est pas la question ! C’est juste pour lui donner une personnalité. Il me semble normal que le Président des USA connaisse et appelle par leurs noms les agents qui lui ont sauvé la vie. De plus, vu que Sheena devait de toutes façons appeler Alpha par son prénom un peu plus loin dans le scénario, j'ai demandé à Mythic de lui donner un nom de famille.


Est-ce envisageable qu’Alpha, agent spécial de la CIA, rencontre un jour son contemporain Larry B Max, agent de l’IRS dont les aventures paraissent chez le même éditeur dans la même collection ?

Jigounov : Alpha commence en effet à bien gagner sa vie et à devenir quelqu’un d’important qui devrait intéresser le fisc (rires).

Mythic :Techniquement tout ce qui a été fait dans ce genre d’interpénétration de séries s’est toujours avéré catastrophique. Le public d’une série n’aime pas toujours l’autre. Si on ajoute à cela le problème du « qui fait quoi » et des droits d’auteurs nous avons de bonnes raisons de ne pas aller vers cette voie.

Comment un dessinateur russe s’est-il retrouvé en Belgique à faire de la bande dessinée ?

Jigounov : J’avais commencé à faire de la bande dessinée en Russie et comme ça ne marchait pas très fort je me suis dit que j’allais essayer de piquer l’argent des occidentaux. Je leur ai déjà pris un sacré paquet (rires).

Vos planches sont elles réalisées entièrement par ordinateur ?

Jigounov : Je ne fais pas de planches. En fait il n’y a pas de règle si ce n’est que je commence toujours sur papier avec un crayon. Il est cependant vrai que l’ordinateur me permet certaines choses que je n’aurais jamais faites à la main.

Mythic : Il faudra un jour qu’un journaliste explique au public ce que c’est que travailler à l’ordinateur. Il n’y a pas de programme « Alpha.com » qui fait en sorte que le dessinateur ne fasse plus rien. Ce n’est pas moins bien fait par ordinateur qu’à la main. Il faut juste éviter de tomber dans certains côtés pervers liés à l’informatique.

Jigounov : On n’a jamais vu un dessinateur multiplier ses qualités artistiques en passant à l’informatique ! Les coloristes qui travaillaient mal à la main continuent à mal travailler avec l’outil informatique.

Différenciez-vous le travail de scénariste ou de dessinateur du plaisir d’écrire ou de dessiner ? Autrement dit vous sentez-vous vraiment « au travail » ?

Jigounov : Oui, sans hésitation. Je transpire comme un âne (NDLR en Russie les ânes transpirent plus que les bœufs !) pour réaliser mes dessins. Quant à toi (s’adressant à Mythic), tu aimes bien être assis dans ton fauteuil devant la TV ou écoutant la radio !

Mythic : Il y a plusieurs parties de travail. La partie la plus importante c’est quand je ne fais rien car c’est là que ça travaille. Même si vu de l’extérieur ça à l’air d’être un métier de fainéant, je peux vous assurer que c’est crevant de le faire pendant 8 heures. Lorsque je me mets à l’ordinateur, l’histoire est écrite car elle l’est déjà complètement dans ma tête.

Qui plus est, un scénariste ne voit plus jamais exactement les choses de la même manière qu’une autre personne dans ce qui l’entoure. Par exemple, lorsque je regarde un film, mon attention est attirée par d’autres choses que le film en lui-même. Du coup, ce n’est jamais une parfaite détente !

Pour conclure sur une note amusante, si vous deviez être un personnage de BD, lequel seriez vous ?

Jigounov : Je serais Milou. !

Mythic : (visiblement plus embarassé par la question que son dessinateur) Il y a une dualité en moi, Janus n'est pas un personnage de BD donc si je devais choisir je serais à la fois Blake ET Mortimer. Tantôt l'un, tantôt l'autre, tantôt les deux.

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Cette interview m'a été aimablement communiquée par l'équipe du site "Le Graphivore"
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Dossier BD

Interviews d'auteurs en collaboration avec "Le Graphivore"

  • François Schuiten

  • Jigounov - Mythic

  • Marc Cantin

  • Philippe Geluck

  • Raoul Cauvin

    Auteur(s) concerné(s)

    Jigounov (Youri)
    Mythic


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    Modifié pour la dernière fois le 11/23/2006